« Vous manifestez pour Gaza mais pas pour la Syrie ! » : Au delà de l’indignation sélective

Valérian Virmaux
7 Aout 2014


L’idée selon laquelle le soutien à Gaza (en particulier et à la Palestine en général) ne relèverait pas de la raison mais de l’émotion, par essence partielle comme partiale est une réalité. Pour autant, faire un lien entre cette solidarité et le manque de soutien que rencontrent les rebelles syriens ne va pas de soi.


Crédit REUTERS/Muhammad Hamed
Il est vrai que d’un point de vue strictement humain, la situation syrienne est bien plus préoccupante que le cas gazaouite, approchant les 200 000 morts en Syrie. Il est probable que la prise de conscience des dangers que traverse la Syrie n’ait pas été à la mesure des initiatives de leurs Etats respectifs. Mais au-delà des considérations morales, il existe une légitimité à défendre le Hamas tout en soutenant Bachar el-Assad. Une légitimité qui a une arme imparable : le droit. 

D’abord, le droit du peuple : Gaza

Lors des élections législatives de 2006, le Hamas remporta la majorité des sièges de l’assemblée de l’Organisation de Libération de la Palestine (proto-Etat Palestinien). Les perdants (Fatah) refusèrent ce résultat, et bloquèrent la situation, instituant de facto deux Etats en Palestine. Aujourd’hui, défendre Gaza et le Hamas, sans se prononcer sur l’idéologie politique, c’est respecter le droit du peuple à élire ses dirigeants. Quelle légitimité plus forte, au XXIème siècle, que les urnes ? Ainsi, si l’on veut faire un raccourci, soutenir le Hamas, c’est soutenir le droit. 

Mais bien sûr nous avons tous les élections allemandes de mars 1933 en mémoire. Toute élection est-elle légitime ? Car le Hamas a le droit de son coté, ce qui renforce sa légitimité, et donc son pouvoir. Et bien oui, toute élection est bien évidement légitime. Des pressions diplomatiques sont possibles, tout comme le renforcement sécuritaire d’Etats qui pourraient être menacés, l’accueil des émigrés politiques est également envisageable, et voilà tout. Empêcher à un peuple de s’exprimer, c’est être certain que la prochaine fois, il criera plus fort encore. Voila pourquoi le Fatah laïc laissa la place au Hamas islamique qui lui-même, s’il succombe aux exigences de paix israéliennes, se verra remplacer par le Jihad Islamique. On discute avec un peuple, mais on ne l’ignore pas. 

A défaut, le droit de l’Etat : Syrie

En Syrie, Bachar el-Assad a été élu par le parti Baath au pouvoir en 2000. La légitimité de cette « élection » étant toute relative, il faut remonter aux années 1960 pour étudier la création du régime politique par son père, et sa perpétuation jusqu’à nos jours. Entre 1946, date de la décolonisation, et 1963, il y eu six coups d’Etat et deux élections : pro-soviétique, puis pro-occidentale, puis pro-soviétique, puis pro-occidentale etc. Hafez el-Assad (dernier coup d’état en 1963) n’avait pas le soutien des urnes, mais il a réussi une chose, à travers la passation de pouvoir réussie à son fils Bachar ce que peu de pays de la région accomplirent : stabilité, indépendance et paix, depuis maintenant 40 années, et ce dans un contexte géopolitique chaotique.

Cette capacité à établir la paix en Syrie, fait œuvre de légitimité de facto vis-à-vis des instances internationales. En effet, le droit s’arrête aux portes de l’histoire. Quoi qu’il en soit des turpitudes, excès et critiques légitimes que l’on peut faire vis-à-vis du régime syrien, le moins que l’on puisse dire est qu’il a gagné sa légitimité par la force des choses. 

Si les manifestations pro-rebelles ne sont pas aussi populaires en France, c’est bien parce que ces deux légitimités se combattent, et finissent par s’annuler. D’une part, la légitimité d’un régime qui a fait preuve de réalisme à travers l’histoire contemporaine, et d’autre part, la légitimité naturelle d’un peuple à vouloir participer à la vie politique.

Or, il se trouve que les gestes d’ouverture du régime ont été réels, dès les premiers mois, jusqu’à organiser une élection présidentielle en juin 2014. Si les pays ennemis de la Syrie avaient saisi cette opportunité pour donner à ce scrutin une légitimité internationale et par la même une chance réelle aux syriens de ne pas douter de leur propre choix (ils auraient pu par exemple demander un délai supplémentaire, ou des garanties s’agissant du retour des émigrés), alors la transition entre un régime militaire autoritaire et la démocratie aurait été faite dans le respect du droit (exemple de la Birmanie). 

C’est pourquoi nous pouvons estimer que le peuple palestinien a le droit de se faire représenter par les élus qu’ils choisit tout en soutenant une élection que seule l’administration syrienne a le pouvoir de rendre légale. N’oublions pas que l’accord de réconciliation Fatah/Hamas prévoyait l’organisation d’élections législatives palestinienne pour décembre 2014. La « seule démocratie du Moyen-Orient » ne pouvait pas l’ignorer.

Publié à l'origine sur Le Nouvel Orient